Yves Bonnefoy

No. 80/ Junio 2015


Yves Bonnefoy
(Traducido por Andrea Patiño Caro)


Le dialogue d’angoisse et de désir


I

J'imagine souvent, au-dessus de moi,
Un visage sacrificiel, dont les rayons
Sont comme un champ de terre labourée.
Les lèvres et les yeux sont souriants,
Le front est morne, un bruit de mer lassant et sourd.
Je lui dis:
Sois ma force, et sa lumière augmente,
Il domine un pays de guerre au petit jour


Et tout un fleuve qui rassure par méandres
Cette terre saisie fertilisée.
Et je m'étonne alors qu'il ait fallu
Ce temps, et cette peine. Car les fruits
Régnaient déjà dans l'arbre. Et le soleil
Illuminait déjà le pays du soir.
Je regarde les hauts plateaux où je puis vivre,
Cette main qui retient une autre main rocheuse,
Cette respiration d'absence qui soulève
Les masses d'un labour d'automne inachevé.


II

Et je pense à
Coré l'absente: qui a pris
Dans ses mains le cœur noir étincelant des fleurs
Et qui tomba, buvant le noir, l'irrévélée,
Sur le pré de lumière — et d'ombre. Je comprends
Cette faute, la morte. Asphodèles, jasmins
Sont de notre pays. Des rives d'eau
Peu profonde et limpide et verte y font frémir
L'ombre du cœur du monde... Mais oui, prends.
La faute de la fleur coupée nous est remise,
Toute l'âme se voûte autour d'un dire simple,
La grisaille se perd dans le fruit mûr.
Le fer des mots de guerre se dissipe
Dans l'heureuse matière sans retour.


III

Oui, c'est cela.
Un éblouissement dans les mots anciens.
L'étagement
De toute notre vie au loin comme une mer
Heureuse, élucidée par une arme d'eau vive.

Nous n'avons plus besoin
D'images déchirantes pour aimer.
Cet arbre nous suffit là-bas, qui, par lumière,
Se délie de soi-même et ne sait plus
Que le nom presque dit d'un dieu presque incarné.

Et tout ce haut pays que l'Un très proche brûle.
Et ce crépi d'un mur que le temps simple touche
De ses mains sans tristesse, et qui ont mesuré.


IV

Et toi,
Et c'est là mon orgueil,
O moins à contre-jour, ô mieux aimée,
Qui ne m'es plus étrangère.
Nous avons grandi, je le sais,
Dans les mêmes jardins obscurs. Nous avons bu
La même eau difficile sous les arbres.
Le même ange sévère t'a menacée.

Et nos pas sont les mêmes, se déprenant
Des ronces de l'enfance oubliable et des mêmes
Imprécations impures.


V

Imagine qu'un soir
La lumière s'attarde sur la terre,
Ouvrant ses mains d'orage et donatrices, dont
La paume est notre lieu et d'angoisse et d'espoir.
Imagine que la lumière soit victime
Pour le salut d'un lieu mortel et sous un dieu
Certes distant et noir. L'après-midi
A été pourpre et d'un trait simple. Imaginer
S'est déchiré dans le miroir, tournant vers nous
Sa face souriante d'argent clair.
Et nous avons vieilli un peu. Et le bonheur
A mûri ses fruits clairs en d'absentes ramures.
Est-ce là un pays plus proche, mon eau pure ?
Ces chemins que tu vas dans d'ingrates paroles
Vont-ils sur une rive à jamais ta demeure
« Au loin » prendre musique, « au soir » se dénouer ?


VI

O de ton aile de terre et d'ombre éveille-nous,
Ange vaste comme la terre, et porte-nous
Ici, au même endroit de la terre mortelle.
Pour un commencement.
Les fruits anciens
Soient notre faim et notre soif enfin calmées.
Le feu soit notre feu.
Et l'attente se change
En ce proche destin, cette heure, ce séjour.

Le fer, blé absolu,

Ayant germé dans la jachère de nos gestes.
De nos malédictions, de nos mains pures. Étant tombé en grains qui ont accueilli l'or
D'un temps, comme le cercle des astres proches.
Et bienveillant et nul.

Ici. Où nous allons.

Où nous avons appris l'universel langage.

Ouvre-toi, parle-nous, déchire-toi.
Couronne incendiée, battement clair.
Ambre du cœur solaire.



Diálogo de angustia y deseo

I                                                                                    

Imagino a menudo sobre mí,
un rostro de sacrificio cuyos rayos
son como un campo de tierra labrada.
Sonríen los labios y los ojos,
es sombría la frente, un sonido de mar cansado y sordo.
Le digo: sé mi fuerza y su luz aumenta,
domina un país de guerra al alba
y todo un río que en sus meandros sosiega
esta tierra cautiva, fertilizada.

Y me asombro de que hayan hecho falta
este tiempo y esta pena. Porque los frutos
reinaban ya en el árbol. Y el sol
iluminaba ya el país de la tarde.
Observo las altas mesetas donde puedo vivir,
esta mano que retiene otra mano rocosa,
esta respiración de ausencia que inflama.
Las masas de un labrantío de otoño inacabado.


II                                                                                    

Y pienso en Coré, la ausente; que tomó
entre sus manos el negro corazón centelleante de las flores
y que cayó, bebiendo la oscuridad, la inrevelada,
sobre el prado de luz… y de sombra. Comprendo
esta falta, la muerte. Asfódelos, jazmines
crecen en nuestra tierra. Riberas de agua
poco profunda y límpida y verde hacen que se estremezca
la sombra del corazón del mundo… Pero sí, toma.
La falta de la flor cortada nos es devuelta,
toda el alma se encorva alrededor de un decir simple,
la grisura se pierde en el fruto maduro.
El hierro de las palabras de guerra se disipa
en la feliz materia sin retorno.


III                                                                              

Sí, es eso.
Un deslumbramiento en las palabras antiguas.
El escalonamiento
de toda nuestra vida a lo lejos como un mar
feliz, aclarada por un arma de agua viva.

Ya no necesitamos
imágenes desgarradoras para amar.
Nos basta este árbol, allá, que, por la luz,
se libera de sí mismo y no conoce ya
sino el nombre casi dicho de un dios casi encarnado.

Y toda esta tierra elevada que el Uno, tan cercano, quema,
y este enlucido del muro que el tiempo simple toca
con sus manos sin tristeza y que han medido.


IV

Y tú,
y en eso reside mi orgullo,
oh, menos a contraluz, oh, la más amada,
que ya no me es ajena. Crecimos, lo sé,
en los mismos jardines oscuros. Bebimos
la misma agua difícil bajo los árboles.
El mismo ángel severo te amenazó.

Y nuestros pasos son los mismos, desprendiéndose
de las zarzas de la olvidable infancia y de las mismas
maldiciones impuras.


V

Imagina que una tarde
la luz se demora sobre la tierra,
abriendo sus manos de tormenta y generosas, cuya
palma es nuestro lugar de angustia y de esperanza.
Imagina que la luz sea víctima
para la salvación de un lugar mortal y bajo un dios
tan distante y tan negro. La tarde
fue púrpura y de un trazo simple. Imaginar
se desgarró en el espejo, volviendo hacia nosotros
su faz sonriente de plata clara.
Y hemos envejecido un poco. Y la felicidad
maduró sus frutos claros en ausentes ramajes.
¿Es ése una tierra más próxima, mi agua pura?
Esos caminos por los que vas, en ingrata letra
¿Van, sobre una orilla, tu morada para siempre,
a musicalizarse “A lo lejos”, a desenlazarse “en la tarde”?


VI

Oh, con tu ala de tierra y de sombra, despiértanos,
ángel vasto como la tierra, y tráenos
aquí, al lugar mismo de la tierra mortal.
Para un comienzo.
Los frutos antiguos
sean nuestra hambre y nuestra sed finalmente calmadas.
El fuego sea nuestro fuego.
y la espera se cambie
por este próximo destino, esta hora, esta estancia.

El hierro, trigo absoluto,

habiendo germinado en el rastrojo de nuestros gestos.
De nuestras maldiciones, de nuestras manos puras.
habiendo caído en granos que acogieron el oro
de un tiempo, como el círculo de los astros cercanos
y benévolo y nulo.

Aquí, a donde vamos.

Donde aprendimos el universal lenguaje.

Ábrete, háblanos, desgárrate.
Corona incendiada, latido claro.
Ámbar del corazón solar.

 

 Fotografia de Daniel Mordzinski