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No. 103 / Octubre 2017



Anne Talvaz
(Bruselas, 1963)

Traducciones de Silvia Eugenia Castillero

Poemes lilas violet

1.
Les yeux mi-clos et laiteux
étaient épouvantables.
J’ai cherché à les fermer
avec le bout des doigts
ça ne marchait pas
alors avec le geste convenu
de la main comme dans les films
c’était un peu  mieux.

Les doigts les ongles étaient
les joues la chair absolument les mêmes qu’avant
elle avait été prise
en plein sommeil
la bouche seulement entrouverte
les dents entraperçues
comme celles des morts des camps
avéré, vérifié donc c’était bien cela
c’était la mort.

Sursaut de peur signe de croix
un pater un ave un baiser
sur la joue, tous les signes
convenus, parce que je
crève de trouille ;
il me tarde de sortir
mais enfin avec le respect
on ne discute pas

Je crève de trouille :
la porte refermée cela va mieux
une légère odeur de merde
dans le couloir.
Les condoléances de la soignante.
Les condoléances des autres résidents.
Les condoléances de la responsable des soins.
« c’est fini » – « soins palliatifs ça s’est
plus ou moins bien passé » –
« pas trop souffert » – « gardez courage » –
« merci » – « merci » – « merci ».

Et merde.
Oublié son alliance.
Reprise de l’ascenseur.
Relent de merde dans le couloir.
J’ouvre la porte : relent de merde beaucoup plus fort.
Les yeux se sont rouverts.
Alliance sur main gauche
sous la couverture.
Elle n’est pas jaunâtre comme le reste
Elle est de couleur foncée et
cela sent très fort.

Chair gonflée sur l’articulation.
L’alliance ne passe pas.
Eau savonneuse
L’alliance ne passe pas.
Je téléphone :
« Les doigts sont gonflés,
l’alliance ne passe pas. »
« Mais enfin, mets de la vaseline,
avec la vaseline tout passe. »
Il n’y a pas de vaseline.
Il y a une pommade hydratante.
L’alliance ne passe pas.

Ma mère a les doigts de la main gauche
bleu lilas, rigides, recourbés, tout gonflés.
J’insiste. La peau tendue
ne risque-t-elle pas de se déchirer ?
Peut-être,
et cela sent déjà la merde.
Je rappelle :
« L’alliance ne passe pas,
les doigts sont gonflés. »
L’excuse va-t-elle passer ?
« Oui, évidemment, la cortisone, »
me répond-on.
(« La décomposition, nom-de-dieu ! »,
la phrase que je ne dirai pas.)
Je ne ferai pas éclater la peau.
Ma lâcheté s’en réjouit.
Je peux cesser ce geste dégoûtant.

Et pourtant ce que j’ai entre les mains
c’est la main de ma mère
il y a aussi le bras de ma mère
les seins de ma mère
le bas-ventre enveloppé d’une couche
elle est ma mère et c’est ma dernière chance

...

J’ai recouvert le corps
pour qu’on ne voie plus que le visage
et la main droite levée, de couleur jaunâtre.
Réminiscence de Picasso : portrait
de la décence mortuaire.
Au revoir maman. Cette fois,
c’était bien la dernière.

L’alliance fut récupérée
par des gens spécialisés dans ce choses-là.
Je ne sais pas comment mais j’ai mon idée.

Elle n’était pas pour moi :
j’avais déjà celle de mon père.

 

2.
The banality of pain

Le soleil noir
ce parfait cliché
est éteint mais
reste braqué sur une immense pelouse
imprégnée de cendres.

Cendres lilas sans scories ni granulés
cendres ou on voudrait en vain
vous reconnaître toi et ta forme
à défaut de celles des autres
qui ne sont que des morts ordinaires.

J’ai beau incliner la tête
dans cette pluie si fine il n’y a
pas un os
pas une réminiscence
pas un sourire.

Le soleil noir
est un projecteur éteint.
Il n’est pas encore l’heure
de rallumer.

 

Poema lilas violeta

1.
Los ojos medio cerrados y lechosos
eran terribles.
Traté de cerrarlos
con la yema de los dedos
no se podía
entonces con un movimiento decidido
de la mano como en las películas
estuvo un poco mejor.

Los dedos las uñas eran
las mejillas la carne absolutamente las mismas que antes
ella había sido tomada
en pleno sueño
la boca tan solo entreabierta
los dientes apenas vistos
como los de los muertos de los campos de batalla
comprobado, verificado efectivamente
era la muerte.

Sobresalto de miedo signo de cruz
un padrenuestro un ave maría un beso
en la mejilla, todos los signos
convencionales, porque yo
muero del susto;
ansío salir
pero finalmente con el respeto
no se discute

Muero del susto:
la puerta vuelta a cerrar así es mejor
un ligero olor a mierda
en el pasillo.
Las condolencias de la cuidadora.
Las condolencias de los otros residentes.
Las condolencias de la responsable de cuidados.
“Se acabó” –“esos cuidados paliativos 
estuvieron más o menos bien”-
“no sufrir demasiado” – “guarde valor” –
“gracias” – “gracias” – “gracias”.

Y mierda.
Olvidada su alianza
Volver a tomar el elevador
Hedor a mierda en el pasillo.
Abro la puerta: hedor a mierda mucho más fuerte.

Los ojos se re-abrieron.
Anillo en la mano izquierda
bajo la colcha.
Ella no está amarillenta como el resto
Ella es de color oscuro y
ese huele muy fuerte.

Carne hinchada sobre la articulación.
El anillo no pasa
Agua jabonosa
El anillo no pasa.
Telefoneo:
“Los dedos están hinchados,
el anillo no pasa.”
“Pero bueno, ponle vaselina,
con la vaselina todo pasa.”
No hay vaselina.
No hay una pomada hidratante.
El anillo no pasa.

Mi madre tiene los dedos de la mano izquierda
azul lila, rígidos, torcidos, muy hinchados.
Yo insisto. ¿La piel tensa
no corre el riesgo de rasgarse?
Puede ser
y eso ya huele a mierda.
Les recuerdo:
“El anillo no pasa,
los dedos están hinchados.”
¿La excusa va a pasar?
“Sí, evidentemente, la cortisona,”
me responden.
(“La descomposición, ¡nombre-de-dios!”,
no diré la frase.)
No haré estallar la piel.
Mi cobardía se alegra.
Puedo detener ese gesto repugnante.

Y sin embargo lo que tengo entre las manos
es la mano de mi madre
también están el brazo de mi madre
los senos de mi madre
el bajo-vientre envuelto con un pañal
ella es mi madre y es mi última oportunidad
Cubrí el cuerpo
Para que no se vea más que la cara
Y la mano derecha levantada, de color amarillento.
Reminiscencia de Picasso: retrato
de la decencia mortuoria.
Hasta pronto mamá. Esta vez,
era en efecto la última.

El anillo fue desprendido
por gentes especializadas en esas cosas.
No sé cómo pero tengo esa idea.

No era para mí:
yo tenía ya el de mi padre.

 

2.
The banality of pain

El sol negro
ese cliché perfecto
está apagado aunque
apunta sobre un inmenso jardín
impregnado de cenizas.

Cenizas lilas sin escorias ni gránulos
cenizas donde uno quisiera en vano
reconocerte a ti y a tu forma
a falta de aquellas de los otros
que no son más que de muertos ordinarios.

Por más que hunda la cabeza
en esta lluvia tan fina no hay
un hueso
ni una reminiscencia
ni una sonrisa.

El sol negro
es un proyector apagado.
Todavía no es la hora
de volver a encender.