No. 110 / Junio-julio 2018

Mesa de traducciones

Estelle Coppolani

(Isla de la reunión, 1994)



Traducción de Diego Ibáñez


Joven poeta, nacida en el Departamento de Ultramar francés de la Reunión, creció en Marsella antes de mudarse a París. Es doctoranda en Literaturas francófonas y colabora con Antoine Jaccottet para la editorial Le Bruit du Temps. Igualmente se ha desempeñado como gestora cultural en la organización de eventos literarios. Ha colaborado con las revistas DO KRE I S de Haití, la revista Indigo de la Reunión y la revista franco-quebequense, Cousins de personne.


Îlots

Ni ancien, ni nouveau monde : rien que des froissements.
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Ce ne peut pas être une île, ceci que les cartes impriment à la chute de l'Afrique, à la pointe du grand océan de l'Inde allé jusqu'à Madagascar : tout au plus une goutte duplique à la Maurice reine, une négligence quelconque, l'éclaboussure d'une touche où manquait l'attention.
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Aux flancs de Salazie l'illusion d'une histoire collective qui sédimente sans occulter n'a point poussé. Femmes et hommes vivent dans la connaissance de la défaite, simplement.
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C'est le propre des formations volcaniques d'endurer le temps, de l'engloutir dans leur fournaise, de cracher magma et de recommencer sans fin.
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Est incessamment dégrossi, ainsi que carrière de Carrare, ce qui est travaillé par la blessure. Nulle entaille n'est plus efficace à se répandre en vertige de fissures, en tournoiements de veines grises.
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La parole est la forme de respiration la plus aboutie dans son mariage avec la ruine. C'est pourquoi nulle puissance de dévastation n'a raison des langues créoles. D'ailleurs, si celles-ci venaient à s'incarner, elles iraient chantant : désolation est le prénom de nos vertiges, amour celui de nos torrents.
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Il nous est arrivé de comparer les troncs brunis des bananiers secs aux champs de cannes mais les bananiers morts n'étaient pas assez tristes.
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L'Océan indien n'a aucun visage. Ni corps levé, ni grande bouche, comme dans l'éclatée Caraïbe où s'ébruitent sûrement les couplets de colère. Les Amériques noires n'ont pas taillé la négritude à d'autres dimensions que la leur.
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La sédentarité dans la langue participe la première de la pétrification de la pensée. Pourtant, le pouvoir de séduction d'un idiome statuaire n'est pas à mépriser.
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Certains ont voulu fouiller les terres avec la même ardeur que des animaux blessés et ils y ont laissé leurs mains. D'autres ont jeté leur bouche aux fruits de couleur vive. Eux ont laissé leurs dents.
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J'ai connu une femme qui, à force de retranchement et d'humidité, a fini par se transformer en un archipel d'îles silencieuses. Saoulée de rhum, un soir, sa bouche a lâché : Je ne fleurirai pas.
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Qui a parlé le premier de l'implant des rocailles établies, fichées aux sols fertiles?
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Une à une, les colères sont éteintes par la douleur diffuse de ne jamais atteindre au plein. Voilà pourquoi l'être que le jour atteint et blesse fait croître en lianes dispersées les commencements de son souci.
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Le grand imprévu des viols coloniaux est d'avoir enfanté.
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À force de parler contre le vent, nos militants métis ont fini par adorer avec un soin fétiche les meurtrissures que leurs bourreaux ont enfermées dans de vastes musées – quand ce n'est pas de leur propre reflet qu'ils se sont épris hypocritement.
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La créolité ne peut au mieux désigner qu'un agrégat d'individus ensemble mixtes et lacunaires. La carence définitoire d'un tel groupe ne saurait se résoudre par un bilan historique (non entamé à ce jour) ou par une indemnité territoriale. La plupart des physionomies créoles font penser à des sortes de plantes vénéneuses surgies de fissures que la Terre aurait insinuées dans son bouillon de lave originel. Beaucoup s'épanouissent après la faille où leur croissance prend pied, et leur visage est beau d'être raviné sans considération d'âge. J'ai croisé plus d'une fois ces bêtes solides pareilles à des bidons de pluie de la taille d'un homme où l'eau peine à monter, goutte par goutte, pour finir par s'effondrer généreusement à l'occasion d'une bourrasque. À la fin, c'est là l'écho le plus juste d'un tel tintouin : l'impossible coïncidence d'une foule de corps avec ces quelques pièces de miroir fendues par le milieu.
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S'il faut composer, c'est dans l'insomnie prolongée de nos douleurs, non dans leur rémission.




Islotes

Ni antiguo, ni nuevo mundo: nada más que fricciones.
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No puede ser una isla, esto que los mapas imprimen en la caída de África, en la punta del gran océano de la India que se extiende hasta Madagascar: cuando mucho una gota que duplica a la reina Mauricio, una negligencia cualquiera, la salpicadura de un brochazo donde hizo falta atención.
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En los flancos de Salazie la ilusión de una historia colectiva que sedimenta sin ocultar, ha brotado. Mujeres y hombres viven con el conocimiento de la derrota, simplemente.
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Es propio de las formaciones volcánicas resistir al tiempo, tragárselo en su horno, escupir magma y recomenzar sin fin.
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Es incesantemente disminuido, como mármol de Carrara, lo que la herida trabaja. Ninguna muesca es más eficaz para propagarse en vértigo de fisuras, en remolinos de venas grises.
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En sus nupcias con la ruina, la palabra es la forma de respiración más lograda. Es por eso que ninguna fuerza de devastación domina sobre las lenguas criollas. Y si éstas vinieran a encarnarse, irían cantando: desolación es el nombre de nuestros vértigos, aquel amor de nuestros torrentes.
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Llegamos a comparar los troncos bruñidos de los bananos con los campos de caña pero los bananos muertos no eran lo suficientemente tristes.
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El Océano Índico no tiene rostro. Ni cuerpo levantado, ni enorme boca como el estallido del Caribe donde seguramente se divulgan las coplas de cólera. Las Américas negras no han tallado la negritud en otras dimensiones más que las suyas.
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El sedentarismo de la lengua es el primero en participar en la petrificación del pensamiento. Sin embargo, no se debe despreciar el poder de seducción de un idioma estatuario.
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Algunos quisieron hurgar en las tierras con el mismo ardor que animales heridos y allí dejaron sus manos. Otros han lanzado su boca a los frutos de vivos colores. Ellos dejaron sus dientes.
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Conocí a una mujer que, a fuerza de atrincheramiento y humedad, ha terminado por transformarse en un archipiélago de islas silenciosas. Ebria de ron, una noche, su boca ha aflojado: nunca floreceré.
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¿Quién fue el primero en hablar del implante establecido, dispuesto, de pedregales en los suelos fértiles?
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Una a una, las cóleras se apagaban por el dolor difuso de jamás alcanzar su plenitud. Por eso el ser al que el día alcanza y daña hace crecer en lianas dispersas los comienzos de su inquietud.
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El gran imprevisto de las violaciones coloniales es haber dado a luz.
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A fuerza de hablar contra el viento nuestros militantes mestizos han terminado por adorar con un cuidado fetichista las magulladuras que sus verdugos han encerrado en vastos museos — cuando no es de su propio reflejo del que se han enamorado hipócritamente.
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Cuando mucho, la creolidad puede designar a un ensamble de individuos, mixtos y lacunarios. La carencia definitoria de tal grupo no sabría resolverse con un balance histórico (que hasta ahora no ha sido entablado) o con una indemnización territorial. La mayor parte de las fisonomías criollas recuerdan a plantas venenosas surgidas de las fisuras que la Tierra habría insinuado en su hervidero de lava original. Muchos florecen después de la falla donde su crecimiento agarra el paso, y su rostro es bello al arrugarse sin consideración de edad. Me he cruzado más de una vez con estas bestias sólidas como bidones de lluvia de la talla de un hombre donde el agua padece para subir, gota a gota, para finalmente derrumbarse generosamente a la ocasión de una borrasca. Al final, ése es el eco más preciso para tal bullicio: la imposible coincidencia de una multitud de cuerpos y algunas cuantas piezas de espejo agrietadas por el medio.
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Si hay que componer, es en el insomnio prolongado de nuestros dolores, y no en su remisión.